J’ai retrouvé dans un vieux magazine une publicité sur la « Fée verte », à la réputation si sulfureuse, et j’ai eu envie d’en connaître un peu plus sur son histoire….

Salut, verte liqueur, Némésis de l’orgie!
Bien souvent, en passant sur ma lèvre rougie,
Tu m’as donné l’ivresse et l’oubli de mes maux;
J’ai vu plus d’un géant pâlir sous ton étreinte!
L’ode à l’absinthe,
Oeuvre longtemps attribuée à Alfred de Musset
Quel est donc ce breuvage qui, au siècle dernier, a déchaîné tant de passion ?
C’est la fée verte, mélange bien dosé de plantes médicinales :
la grande absinthe qui amène l’amertume,
l’anis qui lui donne sa rondeur,
la menthe sa fraîcheur,
le fenouil sa douceur,
la mélisse ce fruité délicatement citronné.
La grande absinthe à la tige droite, cannelée, avec de petites fleurs jaunes, fut utilisée bien avant que l’on ait l’idée de la faire décanter dans l’alcool.
Les druides s’en servaient contre les vers, les rhumatismes, et pour ses propriétés abortives.
Dans l’Antiquité gréco-romaine, elle fut consommée semble-t-il en infusion comme antidote du poison, plus particulièrement de la ciguê.


Au Moyen-Age, la plante était souvent portée autour de la taille, puisqu’on considérait qu’elle chassait le mal.
La recette originale fut développée vers 1792 par le médecin Dr Pierre Ordinaire qui la prescrivait pour tout un tas de maux, de l’anémie aux ballonnements d’estomac.
C’est vert 1805, que Henri-Louis Pernod (dont le père était bouilleur de cru) ouvre une distillerie à Pontarlier avec une production de seulement 16 litres d’absinthe qui sortaient chaque jour de 2 alambics. Production qui passera à 125000 litres en 1896.
L’absinthe, c’est l’alcool chic par excellence, réservée alors aux classes aisées de la société.
Tout un rituel accompagne sa dégustation :

Versez une mesure d'absinthe dans un verre Pontarlier Placez un morceau de sucre sur une cuillère plate perforée reposant sur les bords du verre. Ce sucre va dissimuler l'amertume du breuvage. Versez délicatement au goutte-à-goutte, une eau glacée sur le sucre qui va se dissoudre très lentement. Comptez trois à quatre parts d'eau pour une part d'absinthe. Quel plaisir de voir la couleur du liquide se modifier et le nectar laiteux augmenter en opacité.
Ce sont bientôt les artistes qui en chantent les louanges. Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Van Gogh en boivent et en abusent, de ce breuvage aux vertues particulières capable de leur amener l'inspiration. En 1859, Edouard Manet fait scandale avec sa toile le "Buveur d'absinthe". L'absinthe, c'est aussi la boisson des femmes.... Dans les années 1880, on voit fleurir de nombreux cafés réservés aux femmes et la consommation d'absinthe contribue largement à leur émancipation.

Tout s’envenime vers les années 1870 et 1880. Beaucoup de vignobles sont ravagés par la crise du Phylloxera, ce puceron introduit accidentellement en France (dans des pieds de vignes américains). On va devoir arracher plus de deux millions et demi d’hectares de vignes françaises, aux racines particulièrement sensibles.
Le prix du vin monte en flèche. Les producteurs d’alcool se tournent alors vers des vins de moindre qualité.
Pour avoir sa couleur et son aspect laiteux, l’absinthe de basse qualité est agrémentée de produits hautement toxiques comme du sulfate de cuivre ou de l’antimoine.

Quelques éléments de comparaison :
Le prix d’une bouteille de vin s’élevait à environ 100 centimes, celui d’un verre d’absinthe à 10 à 15 centimes.
A cette époque, un ouvrier pouvait gagner jusqu’à 3 francs par jour.
Le prix d’une miche de pain s’élevait à 45 centimes, correspondant donc à trois verres d’absinthe.
Le prix de l’absinthe va donc considérablement baisser.
La consommation touche maintenant les classes populaires. Elle explose entre 1875 et 1913;
On entre dans la période « fin de siècle ». L’heure est à l’ennui, au cynisme, au pessimisme.
C’est la naissance des mouvement « symboliste » et « décadent » des poètes maudits, synonymes de mélancolie, de déprime, de consommation de drogues et bien entendu d’absinthe. Un nouveau terme est né, l’absinthisme, alcoolisme provoqué par la consommation d’absinthe.
Cette addiction est extrêmement dangereuse en terme d’hérédité, de maladies dégénératives.
L’absinthe contient de la thuyone, une molécule souvent comparée au THC présent dans le cannabis. Cette molécule rend fou et provoque des hallucinations

Le 16 mars 1915, une loi interdit la fabrication, la vente en gros et en détail de l’absinthe.
Mais si l’absinthe rend fou, ce n’est pas tant parce qu’elle contient de la thuyone mais parce que les gens en consommaient trop et à un degré trop fort.
Les études alarmistes de l’époque parlaient d’une concentration de thuyone de 250mg/litre.
Une étude récente sur des échantillons de l’époque conclut plutôt à un dosage de 6mg/litre (le dosage de 250mg avancé au XIXe siècle aurait tout simplement rendu le produit imbuvable).
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